6.11.2006

La 7

La septième proposition d'écriture donc, qui est une contrainte issue des propositions précédentes : rédiger un texte qui ne fasse pas plus de 7 phrases, et qui contienne obligatoirement les 7 termes suivants : passant, Matisse, Hopper, je me souviens, pluie, ville, Godard. A utiliser dans cet ordre. Le labo suivant se prépare doucement dans l'ascenseur... pour découvrir la proposition ascendante, CLIQUEZ ICI.

Sosissant

Un jour, j'ai vu un passant qui ressemblait à un tableau de Matisse. Il avait un pagne et il était couleur pastel. Réflexion faite, il avait un petit air Hopper, je crois bien, un gars qui travaille avec moi à la bibliothèque municipale. Ce jour là, la pluie tombait sans discontinuer, et je me suis dit, tiens, on se croirait aussi dans un poème de Prévert, rappelle toi Barbara ('cest mon nom). Le passant Matisse a entrepris de traverser la rue, comme le ferait un chien nouveau-né (sans rien regarder). J'ai crié, attention! Le type s'est retourné, laissez moi vivre ma vie bordel, il a gueulé, et j'ai réalisé que cétait Jiji Godard, un collègue de chez nous qui se prend pour un cinéaste.
Marie Chotek

7 fragments d'une météorite tombée sur la planète terre

Le passant, chauve et ventru, s'essoufflait à remonter la rue Olivier de Serres, à cause de la pente bien sûr, mais aussi à cause du soleil qui lui martelait sans pitié le crâne de ses poings rageurs. Il revenait à petit pas d'une exposition sur Matisse, son peintre préféré après quelques dizaines d'autres, et pensait encore avec une délectation morose aux tableaux qu'il venait d'admirer, souvent avec difficulté, vu la foule qui se pressait dans les salles du musée et son extrême petite taille, d'où sa distraction qui faillit lui coûter la vie car il traversa sans regarder les voies au moment précis où un tramway lancé à pleine vitesse fonçait en silence sur sa chétive personne, Boulevard des Maréchaux. Il parvint toutefois à l'éviter au dernier moment par une pirouette digne de Serge Lifar (il avait dans sa prime jeunesse pris des cours de danse classique, mais sa croissance s'était brutalement arrêtée vers ses douze ans à la suite d'une chute à vélo dans le mont Ventoux, et il avait dû abandonner tout espoir de devenir petit rat), et grâce à la présence d'esprit d'une jeune femme qui lui cria d'une voix stridente: "attention!" en fermant les yeux pour ne pas voir l'impact de la collision, inévitable d'après elle, jeune femme trentenaire qui ressemblait étrangement à celle d'un tableau de Hopper (Edward), à la différence près qu'elle n'était pas nue, et encore moins pensive, mais au contraire vêtue d'un tailleur strict à carreaux multicolores et de lunettes à large monture rouge vif, accoutrement qui l'attrista un peu, mais qui ne l'empêcha pas pour autant de la remercier avec toute la sincérité et la chaleur dont il était capable. "Vous auriez pu vous faire écraser!" dit la jeune femme d'un air pincé, comme si elle regrettait que cela ne soit pas arrivé, et il ne sut que répondre: "Nous nous sommes déjà rencontrés quelque part, je me souviens, c'était à Londres pour fêter les quatre-vingt ans de la Reine, n'est-ce pas?" "C'était par un jour de pluie, il me semble, mais n'était-ce pas plutôt à l'aéroport Kastrup de Copenhague?"répondit la jeune femme en lui tournant brutalement le dos. Il n'insista pas, même si la réponse lui parut étrange, mais les gens bizarres pullulent en ville, ils sont encore plus nombreux que les chiens agressifs et les chats neurasthéniques. Il continua son chemin en pensant que si Godard avait été encore en vie, il aurait certainement fait de cette jeune femme énigmatique et coincée l'héroïne principale de son prochain film, la faisant mourir dans d'atroces souffrances en égrenant des borborygmes abscons sur une plage déserte, pour la plus grande joie des cinéphiles avertis et des critiques de cinéma , mais hélas JLG venait de disparaître quelques semaines auparavant, encorné par une vache suisse rendue folle par des piqûres de taons, alors qu'il filmait benoîtement dans un champ de luzerne alémanique un repris de justice en cavale, le visage peinturluré en bleu pour qu'il se confonde avec l'azur environnant, quelle tristesse la disparition d'un cinéaste aussi subtil et propre sur soi, pensa-t-il, alors qu'il atteignait la Porte Didot et que le ciel virait au noir, recouvrant soudain Paris d'une épaisse couche de cendres volcaniques !
François Teyssandier

Je pose mon stylo

Je pose mon stylo ; une averse, c’est un petit espoir, il suffit d’un passant sans parapluie, ou juste un peu poule mouillée. Beaucoup s’en foutent, restent carrément à la porte à guetter la dernière goutte, mais certains font semblant d’être entrés pour autre chose ; lui par exemple, il joue l’intéressé et s’arrête devant les rondeurs bonasses d’un Matisse qu’on a mis en avant cette semaine. Puis, avec des coups d’œil réguliers vers la vitrine, il avance dans les rayons, et sort un Hopper, qu’il regarde sous tous les angles ; il l’aime, ou peut-être c’est juste qu’il lui ressemble, va savoir. On a vendu le même il y a deux semaines, à une dame qui ne voulait rien comprendre de mes conseils pour l’encadrement, elle insistait pour avoir la baguette la plus simple, je me souviens, avec tout le choix qu’on a ! Il feuillette les affiches à une telle vitesse, il doit à peine les voir ; il maudit sans doute la pluie et se dit que la culture est casse-pieds.
Tiens, il a trouvé une carte postale, au rayon cinéma – ça sera toujours mieux qu’une vue de l’hôtel de ville au moins – , juste au moment où le soleil revient, et maintenant il s’approche de la caisse en regardant les deux photos d’À bout de souffle – on les laisse tout le temps – : la fille, avec et sans Belmondo. Je les regarde avec lui un instant, puis il présente la carte pour la payer : Paulette Godard ; originale ; je lui dis que j’imagine que c’était la mère, mais il dit que non car ça s’écrit avec deux d, alors je lui montre la carte où c’est bien écrit avec un seul et il fait un petit sourire gêné et ne dit plus rien, je reprends le stylo, l’averse est passée, et quand la porte se sera refermée, je poursuivrai mes mots fléchés.
Derek Munn

Détail monumental

1) Les conditions de vie du gratin ne se sont pas dégradées, estimai-je en revenant de cette soirée, tout en dévisageant aux abords de la rue saint Denis un passant qui m’observait d’un air louche, avant de réaliser que c’était mon reflet en vitrine d'une librairie croulant d'ouvrages sur Matisse en vrac, mais rien sur Hopper, constatai-je, à part mon reflet qui s’en approchait par le style penaud. 2) Je me souviens de ce détail sans intérêt, car alors soudain la pluie s’est mise à tomber dru, et j’ai couru si longtemps, que, n’y voyant rien, j’ai passé le porche de mon immeuble. 3) Quand j’ai levé le nez, c’était l’autre bout de la ville déjà, avec seulement un panneau qui annonçait l’exposition Godard au centre Pompidou. 4) Pas de veine, me dis-je an aparté, quatre heures du mat' et il me faut refaire tout ce trajet à l’envers, comme un Godard projeté depuis le générique de fin, ce qui rendrait supportable le temps de retrouver le centre-ville, avec toujours cette pluie tenace sur les arrondissements infra décimaux. 5) Et tout à coup me revoila encore devant le Hopper en vitrine, en reflet à nouveau au milieu des Matisse, passant perpétuel en voie de satellisation. 6) Il ne restait qu’à refaire une fois encore le chemin à l’envers, rendant par là tous les détails quasi monumentaux. 7) C'est comme ça Paris by night, quand tu joues à des jeux de con.
Max Marcuzzi